Maurice Leblanc – L’île aux trente cercueils

Roman français, paru en 1917. Roman hybride, coincé dans une période charnière et qui annonce déjà les thriller modernes, avec toujours le sentimentalisme de la littérature populaire début de siècle.

La Bretagne, ses côtes déchiquetées, ses tueurs sanguinaires

Le roman s’ouvre sur la description de l’île où va se dérouler l’action. Une île battue par les mauvais courants de Bretagne et entourée de trente récifs : ce sont les trente cercueils du titre. Dès les premières pages, il va se tenir sur ce malheureux rocher une orgie de violence qui ne déparerait pas chez Jean-Christophe Grangé : Maurice Leblanc n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il poignarde, il revolvérise, il attaque les fuyards à la grenade avant de les achever au fusil. Et comme si cela ne suffisait pas, il traîne à travers champs quelques malheureuses bigouden avant de les crucifier. Et encore, je ne compte pas celles qui préfèrent se jeter du haut d’une falaise à la vue du carnage. En 100 pages, un tiers du livre, l’auteur a fait trente morts. Technique de choc pour attirer l’attention du lecteur.

Un sentimentalisme échevelé

Quant au reste. Maurice Leblanc s’intéresse beaucoup moins à ses personnages qu’à ses décors. Quand on ne les massacre pas, les malheureux qui s’agitent dans ce théâtre sanglant passent le reste de leur temps à prendre la pose comme des tragédiennes du Grand Siècle. « Mon fils ! Mon fils ! »  » Grand père ! Grand père !  » « Honorine ! »  » Maman ! » Ils agitent en tous sens leurs sentiments de carton bouilli en espérant attirer l’empathie du lecteur C’est effectivement pathétique, mais pas au sens où l’entendait l’auteur. Peut être sommes nous devenus des lecteurs plus exigeants. Peut être – plus simplement – ne tolérons nous plus les mêmes clichés dans un roman populaire.

Par contre, Maurice Leblanc met en place un effet intéressant : à travers plusieurs scènes, des sosies et des masques, il finit par complètement égarer le lecteur. Voir successivement le même personnage adopter deux comportements complètement différents. Ne pas savoir exactement qui a fait quoi, ni surtout pour quelle raison, nous laisse aussi perdus que le personnage principal. Le choc des 100 premières pages est renforcé par ce deuxième choc : l’auteur ne nous ment pas, mais on ne comprend plus rien à ce qui se passe. L’héroïne a beau rester désespérément godiche, on ne peut s’empêcher de la plaindre. Après tout nous sommes désormais aussi perdus qu’elle sur cette île de psychopathes.

Courses poursuites, mystères et suspense.

Au final, c’est un roman agréable à lire. Il y passe successivement de la terreur, du mystère, du suspense, de l’humour. Le dénouement est sans doute redevenu aussi inattendu qu’il l’était à l’époque. Je l’avais envisagé avant de le rejeter,  sous- estimant les connaissances scientifiques de l’époque. Il y a aussi des éléments curieux. Insultes contre les allemands, à un point qui frise la caricature. Mais peut être Maurice Leblanc a t’il été accusé à l’époque de mettre en scène trop complaisamment son grand Méchant teuton ? Le trait patriotique est en tous cas poussé très loin. La scène finale où le méchant allemand de service est humilié par Arsène Lupin a de petits relents d’antigermanisme primaire. Jouissifs en 1917. Assez pesants en 2010. (« SuperBoche » ? Sérieusement….) Par contre, on croise un personnage de druide diplômé de la faculté, qui apostrophe le grand méchant avec la gouaille d’un titi parisien. Il ne déparerait pas chez Terry Pratchett.  Les habitués d’Arsène Lupin devineront immédiatement de qui il s’agit, et cela donne un éclair de lumière. Après tant d’horreurs on va avoir un happy end. Mais ce happy end est amené par Arsène Lupin lui même.

Arsène Lupin ? M’enfin…

Autant les personnages secondaires semblent un peu falots, autant le héros attire beaucoup trop la lumière. Il virevolte, il bondit, il a toujours trois coups d’avance sur tout le monde, il est suprêmement agaçant. On croirait un héros de mauvais manga. Il ne lui manque que les yeux volontaires et sensibles, et la grosse épée. Au bout d’un moment, on en vient même à se demander ce qu’il vient faire là dedans, à part servir de voix à l’auteur pour expliquer tous les ressorts de l’intrigue. Une espèce d’avatar de Maurice Leblanc en version héroïque, qui accaparerait les 100 dernières pages pour se rengorger. « Regardez là  : une ficelle ! Et ici :  un jeu de mots !   Aviez vous remarqué que tous les méchants ont un nom allemand ? » On n’a qu’une envie : lui filer la pièce et qu’il s’en aille. Comme à un ouvreur qui, non content d’indiquer la place, resterait pour commenter le film.

Tout expliquer, justement.

Nous sommes là en pleine tradition vernienne. Il n’y a, contrairement aux apparences, pas la moindre trace de fantastique dans cette histoire.
Tout s’explique, tout se justifie ; ce qui donne des effets complètement surréaliste étant donné manque de connaissance sur la radio activité à l’époque. Pour mémoire, la radio activité, un peu comme l’électricité était supposée avoir des effets bénéfiques pour la santé. Elle stimulait la cellule, activait l’assimilation des oligo éléments. Que des bonnes choses. A tel point que l’on mettait en bouteille des eaux ‘naturellement radioactives’ qui conduiraient tout droit en prison ceux qui tenteraient l’expérience aujourd’hui. Quelque part sur l’île se promène une source radioactive dont les effets sont pour le moins inattendus. Et l’usage que compte en faire Arsène Lupin risque de surprendre le lecteur.

Je trouve que cela sauve la fin du livre. Il y a quelque chose de jouissif à voir cet Arsène Lupin, si arrogant, si sûr de lui, se planter complètement sur des explications scientifiques que maîtrise aujourd’hui un enfant de 10 ans. Bien fait.

A lire, avec Denez Prigent en fond sonore. Ambiance garantie.

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